Pour Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer (CIO) de Natixis Wealth Management, ce ne sont pas les évolutions des perspectives économiques qui expliquent la hausse des marchés, mais bien le revirement des politiques monétaires. Des décisions qui sont interprétées de façons différentes selon la nature des investisseurs.
À la hausse comme à la baisse, certaines explications surviennent de plus en plus a postériori pour justifier des évolutions parfois décorrélées de la sphère réelle. Ainsi, ce ne sont plus les fondamentaux et les perspectives macroéconomiques qui guident les investisseurs depuis plusieurs mois, mais les changements de cap des politiques monétaires. De fait, aucun événement clé des marchés ne peut expliquer ce mouvement haussier de début d’année, tout comme d’ailleurs la forte baisse de 2018, sinon le revirement complet des banques centrales. Le momentum des résultats s’est même légèrement dégradé, avec des perspectives de hausse des bénéfices en Europe revenues en-dessous de 7% par exemple. Quant au contexte géopolitique, il continue de souffler le chaud et le froid.
Le seul événement majeur de l’actualité des marchés en début d’année est le retour des grandes banques centrales à des politiques monétaires (très) accommodantes. La Réserve fédérale a donné le ton dès décembre, en s’interrogeant sur le rythme de hausse de ses taux à adopter en 2019, face aux incertitudes liées à la guerre économique entre Etats-Unis et Chine. Le président de la Fed, Jerome Powell, n’a cessé depuis de rassurer les investisseurs en mettant en avant la flexibilité de sa politique monétaire. Loin de « capituler » devant les exigences de Donald Trump, la banque centrale américaine a surtout pris acte de l’instabilité économique créée pour une large part par le président américain, notamment en lançant son épreuve de force commerciale vis-à-vis de la Chine. Non seulement la Fed a renoncé à ses hausses de taux, mais elle a également mis entre parenthèses sa politique de réduction de bilan de 50 milliards de dollars par mois. De son côté, la Banque centrale européenne a emboité le pas en ce mois de Mars, en reportant officiellement de six mois, à 2020 (au plus tôt), une éventuelle remontée de ses taux. Là aussi, les craintes de ralentissement de la croissance en zone euro, avec une prévision ramenée à 1% en 2019, sont liées aux risques d’une guerre commerciale ou d’un Brexit chaotique. Mario Draghi a même été plus loin en décidant de relancer son programme de refinancement à long terme des banques… près de dix ans après le pic de la crise financière.
Ces décisions spectaculaires ont incontestablement rassuré les investisseurs sur le court terme, mais elles s’avèrent plus problématiques sur le long terme, en n’apportant pas un cadre d’analyse définitif. L’étude des flux sur les marchés souligne en effet des divergences d’interprétation du revirement des banques centrales selon la nature des investisseurs. Quatre faits méritent ainsi d’être soulignés.
Comment dès lors interpréter ces éléments apparemment contre-intuitifs dans une phase haussière qui succède à un mini krach ? Le revirement des politiques monétaires conduit à deux types d’interprétation et de positionnement, suivant la logique de la durée dans laquelle les investisseurs se situent.
Alors que nous avions débuté l’année surexposés sur les actions et avant de repasser à la neutralité, nous avons suspendu des ajustements plus conséquents, du fait de l’analyse des flux et du sous-investissement des fonds actions que nous venons de décrire. A cette analyse des flux, vient s’ajouter le fait que les tendances baissières nées de la chute du quatrième trimestre commencent également à être challengées face à la puissance de ce rebond et incitent de nouveaux intervenants à entrer sur les marchés. Il manque cependant à ce stade des catalyseurs pour conforter l’idée d’une reprise de la croissance ou d’une revalorisation des actions. En effet, le marché ne peut jouer à la fois une crise géopolitique susceptible d’amputer la croissance à venir - et nécessitant un statuo quo définitif des banques centrales -, et un accord entre Etats-Unis et Chine, sans que cela ne vienne remettre en cause la prudence définitive de la Fed. C’est pourquoi les niveaux les plus hauts de 2018 vers lesquels se dirigent les marchés constituent bien des zones de résistance où nous procèderons à des ajustements complémentaires, que nous avons placé sous surveillance depuis plusieurs semaines, afin de passer sous pondérés sur les actifs risqués.
Achevé de rédiger le 19 mars 2019