Depuis plusieurs mois, vous avez pu vous familiariser avec différents biais comportementaux à travers notre série d’articles qui ont successivement abordé l’excès d’optimisme (#1), l’illusion du contrôle (#2), l’illusion de la connaissance (#3), le biais de confirmation (#4), l’aversion aux pertes (#5) et les heuristiques de représentativité (#6). Je vous propose de poursuivre notre cheminement en consacrant ce nouvel article à l’ancrage (#7). L’analogie à l’ancre marine est ici tout à fait adaptée, vous allez rapidement comprendre pourquoi.
Afin de définir l’ancrage, repartons de notre dernier sujet traité (les heuristiques de représentativité) : l’heuristique d’ancrage consiste à formuler une réponse (une estimation chiffrée notamment) en se référant à une valeur arbitraire sans aucun lien avec la question posée. Il s’agit d’un biais très courant fondé sur la première impression laissée par une personne, un évènement, un prix, etc. et qui empêche le plus souvent d’intégrer d’autres éventuels éléments significatifs à la prise de décision.
Voici deux exemples qui vous permettront de mieux cerner ce biais cognitif* :
Les instructions suivantes sont données à un groupe de personnes :
L'idée est de voir si la réponse à la première question a créé une "ancre" susceptible d’influencer la réponse à la troisième question.
Et, en effet, les résultats ont confirmé cette hypothèse :
Pour l’expérience, cette roue était truquée : seuls les nombres 10 et 65 sortaient. Bien qu’en apparence aléatoire, ce résultat affectait significativement les réponses :
En d'autres termes, la valeur aléatoire fournie par la roue (10 ou 65) sert d'ancre, c’est-à-dire de point de référence, pour réaliser l'estimation bien qu'elle ne soit d'aucune utilité logique.
Ces expériences démontrent la réelle influence que peut avoir un facteur sur une décision, alors même qu’il est totalement indépendant et déconnecté du sujet.
Si on ne connaît pas la réponse à une question, on va inconsciemment
se raccrocher à un élément pour pouvoir en donner une, même si cet élément n’a aucun lien avec la question.
Face à l’incertitude, l’ancrage est la tendance à s’accrocher à une information non pertinente mais qui permet d’élaborer une réponse. L’ancrage mental est un biais cognitif très puissant. Il s’appuie sur la façon dont les mémoires sont fabriquées dans notre cerveau pour persister. À chaque fois que l’on se souvient d’une mémoire, la mémoire à proprement parler se renforce (la liaison neuronale devient plus forte).
Après nos deux expériences, je vous propose d’illustrer le propos à travers deux situations usuelles :
Dans ce cas, en grande partie, la perception de valeur est liée à l’ancrage.
Ainsi, ce biais d'ancrage se produisant dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, vous serez peut-être mieux à même de réduire son influence inconsciente sans toutefois le réduire à néant car, ne le négligeons pas, il peut aussi nous faciliter certaines prises de décisions…
Article rédigé par Sandrine Vincelot-Guiet, Directeur Conseil et Sélection OPCVM VEGA IM
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* Biais cognitifs : ce qui fait que nous prenons des décisions d’une manière qui peut sembler illogique.
** J.Montier est un spécialiste de la finance comportementale avec un biais extrêmement pratique puisqu’à la fois universitaire et également salarié dans différentes grandes banques. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la finance comportementale.
*** Tversky, A. & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases.Science, 185, 1124-1131.